Le sourire de Dame...Fortune- Fortuna, bronze allégorique à patine brune signé d'Ernest-Henri Rancoulet ( 1842-1915). Vers 1885.

    - Foulant d'un pied gracile une roue ailée posée sur une demi-sphère enveloppée de tourbillonnantes nuées, une jeune femme s'élance. Précieusement drapée d'une fine tunique découvrant ses formes juvéniles, elle reléve de la main droite, en un geste empli de délicatesse, le bandeau ceignant sa chevelure artistiquement maintenue en un ondoyant chignon; de l'autre, elle enserre une Corne d'abondance d'où s'épanchent, en une aérienne cascade, une frondaison de fleurs et de fruits.

Accompagnée de ses attributs- roue ailée, sphère, bandeau lié au hasard aveugle et fluctuant, corne d'Amalthée*-, cette douce figure féminine drapée à l'Antique est une allégorie de Fortuna (correspendant à la Tsyché du monde grec), divinité tutélaire de la Destinée, de la Prospérité et, donc de la Fortune individuelle ou matérielle. Représentée sous le ciseau d'Ernest Rancoulet, dans une attitude plus angélique que triomphante, celle-ci, le visage légérement incliné, embrasse d'un regard carressant et tendre l'horizon terrestre qu'elle sillonne et féconde.

     -On soulignera d'emblée que cette oeuvre s'inscrit remarquablement bien dans le parcours artistique d'Ernest-Henri Rancoulet (1842-1915).

Silhouette au mouvement ample et retenu, posture élégante et recherchée, formes curvilinaires et gracieuses, préciosité du modelage individualisent cette représentation allégorique de La Fortune. On retrouve ces qualités heureusement combinées dans certaines de ses réalisations de quelques années antérieures ou postérieures, tels les groupes intitulés Gloria Magnis Viris, L'âge d'Or, La Fécondité de la Terre par l'Onde, La Poésie- dont elle s'avère extraite-, ..ou les figures isolées de Diane, Joueuse de triangle, ...

Dans ce bronze conciliant charme suave et facture concise rappelant l'Antique sans néanmoins l'imiter, s'exprime l'influence d'un courant Florentin alors revivifié par certains artistes appartenant à la même génération et similairement hanté par l'idéal de la Renaissance italienne. Aussi, s'il fallait chercher des antécédants esthétiques à cette pièce, il faudrait se tourner vers Jean de Bologne (1529-1605),célébré pour ses Mercure volant (1563), Hercule terrassant le Centaure (1563) ou sa Fortuna (New-York, Métropitan Muséum) , représentée juchée sur une roue, arborant caducée et gouvernail. Dans le sillage de ce grand Maître Florentin nacquit autour des années 1860, un mouvement sculptural magistralement illustré par Paul Dubois (1829-1905), Alexandre Falguière (1831-1900) mais aussi par Eugène-Louis Lequesne (1815-1887) -auteur de Faune Dansant, 1851 et de La Fortune et le succés- dont Ernest Rancoulet fut l'éléve à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris.

A la confluence de cet enseignement et de cette mouvance esthétique, Ernest Rancoulet sut créer une oeuvre raffinée et personnelle à laquelle la "touche  glissante" du modelé laissant "deviner (..) les colorations légéres de la jeunesse" (Join Henri, La sculpture au Salon de 1876, Paris, 1877, p. 79) si perceptible dans nombre de ses figures féminines, la retenue de l'expression apportent une délicatesse tout à fait caractéristique du dernier tiers du XIXe siècle.

L'Allégorie perd de sa rhétorique. Ne subsiste dés lors dans l'univers de l'artiste que ...le Sourire de Dame Fortune.

     *La Corne d'Abondance, synonyme de Sources inépuisables de bienfaits.En forme de corne ,elle évoque la corne qui ornait le front de la Chèvre Amalthée ("tendre Déesse"), nymphe-nourricière du Dieu Zeus: ""Amalthée ramassa cette corne brisée, l'entoura d'herbes fraiches, la remplit de fruits, et la présenta aux lèvres de Zeus" (Ovide, Les Fastes, V, 124-125). Laissant échapper des fruits en cascade, elle est signe de "félicité publique, d'espérance, de l'occasion fortunée et de la victoire de la Fortune sur la Fatalité".

      -Une biographie d'Ernest-Louis Rancoulet (Sorèze, Tarn, 5 avril 1842-Paris?, 1915) a été rédigée. A titre indicatif, on donnera les principaux référents bibliographiques où sont cités carrière, principales réalisations  de ce sculpteur-statuaire dont l'oeuvre "de qualité" diffusée par de nombreuses Maisons de bronzes d'Art et d'Ameublement parisiennes fut plébiscitée par ses contemporains : Bénézit, Dictionnaire des peintres et des sculpteurs..1939, T.III, p.570; Devaux, Yves, L'univers des bronzes d'art et des fontes ornementales, Paris: ed.Pygmalion, 1978, p.231; Kjellberg, Pierre, Les Bronzes du XIXe siècle.Dictionnaire des sculpteurs, Paris: Ed. de l'Amateur, 2005, p.562;