Maison Sormani (Attribuée à la)- Belle commode de style Louis XVI en acajou, placage d'acajou, d'amarante et de satiné d'après le modèle original de Jean-François Leleu (1729-1807) conservé aux Châteaux de Versailles et de Trianon (inv. V 702) . France , Paris, Circa 1880.
Répertoriée parmi les modèles hautement prisés par l'élite parisienne d'ébènisterie d'art de la seconde moitié du XIXe siècle, la commode ici présentée arbore par sa silhouette néo-classique d'une élégance remarquable les atours esthétiques qui devaient établir dans le domaine des arts décoratifs la renommée de son illustre devancière. A savoir, la commode créée vers 1780 par l'un des plus talentueux ébénistes du régne de Louis XVI, Jean-François Leleu (1729-1807) et, de nos jours, conservée dans les collections des châteaux de Versailles et de Trianon (numéro d'inventaire V 702).
D'une grande qualité d'exécution, notre commode présente un corps de forme rectangulaire sensiblement galbée en façade et à flancs incurvés sur les côtés.
Serties de bois et placage d'acajou, ces lignes épurées s'habillent dans des encadrements de bois d'amarante d'amples panneaux marquetés en frisage de bois de satiné. Pondérée, une parure de bronzes ciselés dorés composée d'une frise ajourée à branches de lierre et de pampres de vigne, de chutes en console à feuilles d'acanthe et de chêne, d' encadrements à feuilles d'eau, de plaques brettées, de perlé, d'anneaux de tirage rubanés, d'entrées de serrure à fins motifs d'enroulements d'acanthe et sabots feuillagés ponctués de fleurettes ajoute lustre et éclat au chatoiement des bois sciemment choisis.
Reposant sur quatre pieds en fuseau surmontés de montants cannelés laitonnés légèrement en ressaut, elle ouvre par trois tiroirs , dont un dissimulé en ceinture et deux sans traverse en partie inférieure. Epousant ses contours harmonieux, un plateau de marbre brocatelle violette coiffe cette commode dotée d'une indéniable préséance.
En regard de l'oeuvre maîtresse de Jean-François Leleu, notre commode ci-dessus décrite affiche déférence et perceptibles modifications.
Respect des particularités stylistiques qui établirent en son siècle la renommée de ce grand ébéniste français : amplitude et sobriété du parti architectural, adoption d'une forme cintrée à flancs incurvés, tiroir en ceinture revêtu d'une frise et secondé par des tiroirs inférieurs dissimulés valorisant le travail du bois aux essences choisies, pondération de l'ornementation de bronzes dorés inspirée par l'Antiquité gréco-romaine et, typique de sa production, le motif de pampres de vigne entrelacées de feuilles de lierre tigées.
Outre des proportions moindres notamment en largeur, l'adoption du marbre brocatelle violette, d'un placage d'amarante, de satiné et d'acajou accentuant par leur chromatisme soutenu la composition du meuble tout comme la substitution à la lingotière basse d'un perlé, l'intrusion d'entrées de serrure en bronze ciselé doré -éléments récurrents au savoir-faire de Paul Sormani (Voir Mestagh Camille, p. 299, fig. 357)- individualisent notre commode.
Comme le souligne Christopher Payne dans son ouvrage éloquemment titré Paris. La Quintessence du meuble au XIXe siècle, cette pièce mobilière appartient à cet ensemble d'oeuvres exécutées pour le compte des têtes couronnées, de l'aristocratique et riche bourgeoisie de l'époque par l'élite des ébénistes parisiens et, plus précisément pour ce modèle de Leleu par Jean-Louis Cueunières , Henry Dasson (1825-1896),la Maison Paul Sormani ( 1841-1937), Antoine et Nicolas Krieger (1826-1930) ou encore François Linke (1855-1946). Amateurs et fins collectionneurs de meubles du XVIIIe siècle, ils réalisèrent, aux côtés de créations de style, des reproductions fidèles des pièces majeures de l'Ancien Régime issues de collections royales ou de grandes collections particulières. Présentées aux Expositions de l'Union centrale des Arts Décoratifs, aux Expositions Universelles, leurs "copies"-à entendre au sens de "d'hommage rendu aux anciens" et non de leurre esthétique- avaient à dessein "de présenter au client un objet qui tenait son rôle", d'où "dans certains cas, des variantes délibérées comme la taille du bâti (...), "la transformation du dessin de l'objet pour suivre la mode ou restituer leur propre idée d'une vision moderne" (pp.96, 112-113).
Notre datation.-Synonyme du luxe à la Française, le Style Louis XVI, timidement dénommé sous la Restauration "genre Reisner", acquiert au cours des années 1880 ses lettres de noblesse. Il conquiert érudits et ébénistes laurés, imprègnent les arts décoratifs, se déploie dans les intérieurs (demeure du Comte Nissim de Camondo , rue Monceau à Paris) des nantis de l'époque. Au fait de cet engouement, s'avérent cruciales deux expositions dites "Rétrospectives": celle de 1867 organisée au Petit Trianon sous les auspices de l'Impératrice Eugènie, fervente admiratrice de Marie-Antoinette et celle de 1882 au Palais de l'Industrie promue par l'Union des Arts décoratifs. Recensée sous le Directoire en 1796 au Palais du Luxembourg, la commode créée vers 1780 par Jean-François Leleu fut exhibée lors de ses manifestations capitales quant à la diffusion de son modèle.
Biographies :
Jean-François Leleu (1729-1807), reçu Maître en 1764.
Formé à l'Arsenal par Jean-François Oeben (1721-1763), Jean-François Leleu, reçu Maître en 1764, créa son propre atelier Rue Royale Saint Antoine (rue de Birague). Evincé dans le titre d'ébéniste de la Couronne par son rival Jean-Henri Reisener (1734-1806), il bénificia très vite d'une clientèle d'amateurs éclairés tels que le Duc d'Uzès, le Marquis de Laborde, banquier de la Cour, le baron d'Ivry ou encore Ange Laurent Lalive de Jully ,adeptes du goût Antique. A partir des années 1772, il devint l'un des ébénistes attitrés de la famille des Condé pour laquelle il créera jusqu'en 1777 -notamment pour l'ameublement du Palais -Bourbon à Paris (commodes de trumeau pour la Duchesse de Bourbon, 1773 Versailles inv. PT 6417 V 828 et 1149) - de remarquables pièces mobilières (commode de la chambre à coucher du Prine de Condé à l-Hôtel de Lassay, 1772, Louvre, inv. 0A 9589).Associé en 1780 à son gendre Antoine Stadler, il se retira des affaires en 1792, livrant à la postérité des oeuvres d'un esthétisme néo-classique admirées pour leur " leurs proportions parfaites", leurs"admirables marqueteries" et la sobriété de leur ornementation en bronzes. On lui doit aussi un rare Secrétaire à cylindre (1768-1770 Louvre, inv. 0A 11 295) garni de plaques de porcelaine.
Maison Paul Sormani (1841-1937).
Toujours reconnu pour sa "production qui révèle une qualité d'exécution de tout premier ordre", cet établissement parisien d'ébénisterie d'art fondé par Paul Sormani (1817-1877) acquit sa réputation tout au long de la seconde moitié du XIXe siècle et, ce dès les années 1854. Trés apprécié pour ses nécessaires élaborés, ses objets de tabletterie précieux comme ses petits meubles de fantaisie de style Louis XV-Louis XVI, il s'attacha une clientèle des plus distinguée dont l'Impératrice Eugènie ou Maria Pia de Savoie dont il meublera résidences et palais. Honorée par les jurys et recompensée lors des des grandes Expositions Universelles Parisiennes de 1855 et 1867, la Maison Sormani obtiendra à celle de 1878 une médaille d'or, consécration suprême. Présenté récemment, un ensemble de pièces mobilières issues d'une collection particulière parisienne (Vente Millon du 2 juillet 2021) permettait d'apprécier l'incontestable savoir-faire d'une Maison qui, à l'égal des Dasson, Linke, Zweiner et Beurdeley, se plaça par ses créations de style ou copies d'après les grands Maîtres Ebénistes des XVII- XVIIIe siècles ( Boulle,Cressent, Oeben, Martin Carlin, Reisener, Haupt, ..) sous le signe de l'excellence.
XIXe siècle, Style Louis XVI, Travail réalisé circa 1880 d'après un modèle original créé par l'ébéniste français Jean-François Leleu (1729-1807) .